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Vague bleue

La sorcellerie

L’Ardenne du nord a été particulièrement touchée par la sorcellerie. Pays de grottes, de sombres forêts et de landes meurtrières, les éléments naturels frappaient davantage l’imagination des habitants qu’en d’autres lieux. Pays pauvre, victime de nombreuses épidémies, c’est une terre où l’on cherchait à travers la sorcellerie tantôt le coupable de tous les malheurs, tantôt la protection contre ces mêmes malheurs.

Qu’il pleuve trop, qu’il fasse sécheresse ou que le bétail crève… il devait y avoir un sorcier dans les environs. Les croyances populaires aidant, il n’était pas tellement difficile d’en trouver un et de l’accuser.

Ainsi, la rumeur publique, des dénonciations plus ou moins précises portées à la connaissance des échevins entraînaient l’ouverture d’enquêtes. Lorsque le processus était engagé, il était difficile d’y échapper, car, pour arracher les aveux des récalcitrants, la torture ou question venait à point nommé. Les procédés étaient variés. Le ceppe était une sorte d’étau dans lequel on serrait les mains ou les pieds du suspect. Le supplice de l’échelle consistait à le suspendre dans le vide par les poignets. Pour le supplice de l’eau, le patient était lié sur un tréteau de manière à lui étirer les membres, on lui introduisait une sorte d’entonnoir dans le gosier et l’on y versait de l’eau chaude ou froide selon l’humeur des magistrats. Que les bonnes âmes se rassurent, on laissait de temps à autre au prévenu l’occasion de reprendre haleine. L’estrapade constituait enfin un des gadgets les plus raffinés. On attachait un gros poids aux pieds du prévenu qui avait les mains liées sur le dos et était attaché à une corde manœuvrée par une poulie. Soulevé de terre, à cause du gros poids, le corps se disloquait, les tendons se déchiraient. Cette procédure avait l’avantage de transformer pratiquement tous les suspects en coupables. Soumis à la torture, ils étaient sommés de donner le nom de partenaires. Ils finissaient par fournir des noms. N’importe lesquels! Les victimes de la torture choisissaient les futures victimes de cette même torture !

De 1630 à 1633, une véritable épidémie de sorcellerie s’abat sur le pays de Waimes et de Malmedy et plusieurs personnes furent brûlées. C’est à Hockniez, près de la « Pierre du Diable » que les sorciers étaient exécutés, c’est-à-dire brûlés vifs ou après strangulation suivant la gravité du cas. Guillaume d’Etzbach, podestat et haut magistrat de justice, fit ainsi condamner plus de cinquante personnes pour crime de sortilège.

La sorcellerie a évidemment sa part de vérité et de légendes. La crédulité populaire et l’imagination ont ainsi transformé des événements banaux en sortilèges démoniaques. Ainsi les sabbats…

S’il est vrai que les danses ou sabbats ont existé, cela relevait davantage de la partouze que de quoi que ce soit d’autre. On y ripaillait, on y chantait, on y dansait avant d’y forniquer plus ou moins joyeusement. Le prétexte sabbatique bousculant les interdits de l’Eglise… Dans la région, certains endroits avaient la réputation d’accueillir les danses de sorcières: les fontaines de Steinbach, Robrou, Schoppen, Weywertz, le grand bois de Sourbrodt… Les sorciers avaient bien sûr la réputation de jeteurs de sorts. La corde ou aiguillette nouée selon certaine procédure avait le don de provoquer toutes sortes de maux: de la paralysie d’un membre à l’impuissance d’un jeune époux! A une époque où la médecine était presque inexistante dans nos campagnes, les sorciers connaissaient souvent des remèdes. Des remèdes qui relevaient parfois du charlatanisme. Jean de Goronne fut incontestablement un des maîtres en la matière dans le ban de Waimes.

C’est en 1679-1680 qu’éclata à Waimes un procès de sorcellerie qui eut un certain retentissement. Ce fut un des derniers. Après onze séances d’interrogatoires de 42 témoins, 30 personnes furent impliquées venant de tous les hameaux du ban, sauf Gueuzaine, Walk et Libomont. Les accusateurs avaient ouï dire qu’un autre avait dit qu’un tel avait dit que…
Stienne Jean le Maire le vieux doit être tombé hors des nuées pendant un orage à Wevertzé il y a dix-sept ou dix-huit ans ! Jeanne, fille de Léonard de la Fourire, a occasionné la perte de lait à des vaches ! Barbe, épouse à Thomas Henry , a eu le nom de sorcière il y a quarante ou cinquante ans ! Anne des Cortils de Champagne a occasionné une grave maladie à sa voisine en lui soufflant sur les pieds pendant ses dernières couches ! Finalement et heureusement, ces accusations et d’autres portant sur 25 des 30 suspects ne furent pas retenues. Cinq femmes restèrent sur la sellette :
. Jehenne Jean le Maire, épouse Rasquin, de Robertville
. Anne Martin, épouse de Christophe Jean Stienne, d’Ovifat
. Jehenne Samray, veuve de Jean Wansart, de Remonval
. Marie le Dosquet, épouse de Jamar de Vaux, de Fagnoux
. Marie Samray, épouse d’Adam le Vieux Renard, d’Ondenval

Jehenne Jean le Maire est accusée d’avoir occasionné la mort de Jacquemot le Jouly de Robertville qui languit pendant plusieurs années avant de sécher et de mourir. Le devin Jean le Goronne ne put rien y faire et accusa Jehenne d’avoir ensorcelé Jacquemot. Elle est également accusée d’avoir ensorcelé une vache qui devint malade et périt peu après le passage de Jehenne à travers le pré. Elle aurait provoqué une invasion de ” haleines ” (chenilles) dans une maison d’Ovifat et fait périr un cheval. Enfin, elle est accusée d’avoir des relations extra-conjugales avec Hubert Grosjean, le potassier, de Robertville. Relations reconnues par Hubert qui, judicieusement, pleura ses fautes en accusant Jehenne de l’avoir ensorcelé. Ben voyons !

Lors des interrogatoires qui suivirent son incarcération à Reinhardstein le 21 octobre 1679, elle reconnaît son inconduite avec Hubert et admet que sa grande-mère maternelle a été reconnue et brûlée comme sorcière. Pour tous les crimes de sortilège, elle nie. Par après, elle ne niera plus aussi farouchement mais déclarera plus prudemment ignorer si elle est sorcière ou si elle l’est devenue à la suite de sa vie paillarde. Il ne lui semble pas avoir assisté à des danses de sorcières et elle ne croit pas avoir occasionné des maléfices à qui que ce soit. Conduite à Malmedy, on a perdu les minutes de son procès pour la suite. On peut néanmoins supposer que son sort fut lié à celui des quatre autres.

Anne Martin est accusée d’avoir ensorcelé Servais, un enfant d’Ovifat, d’avoir ensorcelé de même un veau qui ne fut sauvé que grâce aux grains bénits des Capucins de Malmedy ; on dit également que son mari refuse de coucher avec elle parce qu’elle est sorcière. Le 19 janvier 1680, son affaire commence. Lors des interrogatoires, elle rejette les accusations de sortilèges, elle nie que son mari refuse de cou- cher avec elle” sauf en été dans les chaleurs quand on est tourmenté de puces “. Après avoir été interrogée à Reinhardstein, Malmedy et Stavelot et maintenu indéfectiblement ses positions, le procureur demande qu’on lui applique la torture.

Marie Samray a septante-sept ans. Ses deux accusateurs, Adam Lamby et Thomas Henry, d’Ondenval, ont trouvé dans cette affaire l’occasion de se venger. Adam l’accuse de l’avoir ensorcelé en revenant par Elsenborn d’un pèlerinage au monastère de Grünewald, d’avoir rendu, vingt ans auparavant, Jaspar Bastin fou et sauvage par deux fois; elle aurait fait périr une belle jeune vache rien qu’en la touchant et elle aurait rendu malade Jehenne Mangay en lui offrant quatre blanches ” biloques “. Le 27 février 1680 s’ouvre son procès. Circonstance aggravante, sa grand-mère maternelle fut déjà brûlée comme sorcière il y a cinquante ans. Lors du premier interrogatoire à Reinhardstein, elle avoue d’emblée être sorcière. Le diable serait venu la trouver dans son lit un soir de carnaval alors que son mari était au café Crasson. Il revint deux autres fois. Elle se rendit en pèlerinage à Troisvierges et nie avoir eu d’autres rapports avec Satan et être allée aux danses. Elle ne connaît ni sorciers ni sorcières et ne veut ni ne fait mal aux bêtes et aux gens. En somme, elle se reconnaît sorcière, mais nie tout acte de sorcellerie! Visiblement, elle se sacrifie pour en finir plus vite et éviter un procès ruineux aux siens. Le 20 mai 1680, le décret de torture (qu’elle a réclamé) est exécuté. Après s’être rétractée, elle avoue s’être déclarée sorcière à la suggestion de son fils. Après avoir subi neuf fois la question, on décide de la confronter avec les témoins. Peine perdue. Ses fils qui déposent croient qu’elle pourrait être sorcière ! Le 12 juin, un de ses fils lui révèle le nom de personnes détenues. Le 19 juin, elle reconnaît à nouveau être sorcière, elle avoue avoir voulu se venger de Thomas Henry, elle avoue avoir été aux danses à la fontaine de Steinbach, qu’elle y rencontra Jehenne Winand et la femme Jean Marôye Noël mais aussi Marie le Dosquet. A Robrou, elle a rencontré, lors des danses, Jehenne Samray, reçu du diable de la poussière grise qu’elle déposa sur les blanches « biloques ». Pour se rendre aux sabbats, le diable la transportait par les airs d’où elle jetait des grêlons pour abîmer les récoltes. Elle avoue avoir renié Dieu et promit au diable de le servir toute la vie. Après de tels ” aveux “, Marie Samray espérait être exécutée rapidement. Mais ses aveux sont tellement ahurissants que la justice décide de lui appliquer à nouveau la torture pour obtenir plus d’éclaircissements. Des éclaircissements, elle en donnera tant et plus que le procureur Haack, greffier de la Cour de Waimes, triomphe et conclut à sa condamnation à mort. Mais ses accusations à la fois trop précises et trop graves provoquent des doutes. Des échevins sont chargés de l’interroger à l’amiable. L’attitude de la prisonnière qui veut à tout prix mourir rend les échevins perplexes. D’autant plus qu’à force d’imaginer des détails elle en arrive à se contredire. On la confronte avec Jehenne Wansart qu’elle prétend avoir vue aux danses. Malgré les dénégations de Jehenne, elle maintient son accusation. Les juges, désormais persuadés qu’elle ment, ne savent comment en finir. Elle se confesse à un capucin et le 8 juillet, coup de théâtre, elle nie tout en bloc, disant qu’elle avait avoué pour essayer d’échapper à la torture. Le 11 iuillet. Marie Samrav sera soumise à la torture de l’eau en présence de toute la cour. Suppliciée, elle avoue à nouveau son état de sorcière mais nie y avoir rencontré les femmes précitées, les remplaçant en quelque sorte par des «Allemandes » d’Amblève. Son calvaire touche désormais à la fin.

Jehenne Léonard Wansart avait été accusée d’avoir noué une corde un dimanche entre deux messes et de l’avoir placée sous le « bourteau » pour faire venir le lait des vaches. D’autres accusations du
même genre n’avaient pas retenu particulièrement l’attention des juges mais les aveux de Marie Samray rendent son « innocence » problématique. Encore une fois, sa mère, sa belle-mère et sa belle-soeur avaient déjà été accusées de sorcellerie et sa belle-mère exécutée. Une jeune fille qu’elle avait évincée dans le coeur de son mari avait fait courir sur elle des « mauvais bruits ». Elle nie les actes de sorcellerie dont on l’accuse et lors de sa confrontation avec Marie Samray, elle ne se départit pas de son calme malgré les accusations graves. Le 4 juillet, le procureur Haack réclame la torture, mais les juges, échaudés par le cas de Marie Samray, semblent beaucoup moins pressés.

Marie le Dosquet, dont la mère fut aussi exécutée comme sorcière, était également soupçonnée d’être de mèche avec Satan. On dit redouter sa présence près des nouveaux-nés, on lui attribue des maladies et une vache dont elle aurait touché le pis donnerait du mauvais lait. Encore une fois, ces accusations seraient restées sans suite sans l’accusation de Marie Samray. Marie le Dosquet, impotente, se éplaçant avec des béquilles est donc soupçonnée de courir le guilledou avec le diable par les nuits sans lune dans les bois de Robrou. Le 28 juin, elle est arrêtée. Elle nie énergiquement toute sorcellerie et attend la mort que Dieu voudra bien lui envoyer. Confrontée à Marie Samray, elle continue à nier et Marie n’est pas en mesure de dire si elle fréquente les sabbats avec ou sans béquilles. Le procureur Haack demande la torture pour éclaircir les faits. La Cour persiste dans sa perplexité jusqu’au 18 juillet 1680 où les trois vieilles sont relaxées mais néanmoins condamnées aux frais. Dans le cas de Marie Samray, le dépense était de 231 florins et 7 patars. Ce qui équivalait à l’époque à 463 iournées de travail d’un maçon ou au prix de 15 génisses. Ce procès fut un des derniers ayant trait à la sorcellerie dans notre région.